Wednesday, February 8, 2012

Desras le Lavalas supporte Tèt Kale


Hissé à la deuxième marche de la hiérarchie des autorités, Simon Dieuseul Desras, président de l'Assemblée nationale, a un parcours atypique que seuls les anciens de la Fédération nationale des étudiants haïtiens (Feneh) savent encore générer. Portrait d'un militant lavalas, supporteur de Martelly.
Haïti: Assuré de son élection au second tour des sénatoriales de 2011, Simon Dieuseul Desras a arpenté les vallées et les montagnes du Plateau central pour aider Michel Martelly, un néophyte qualifié de « néoduvalieriste », à accéder à la magistrature suprême. Son nom pourtant est loin d'être rayé du registre de Fanmi Lavalas, le parti de Jean-Bertrand Aristide, symbolisant une certaine gauche. Certains éléments de l'aile dure de Lavalas défilent, au contraire, à son bureau précédemment occupé par Jean Rodolphe Joazile, un autre adepte du mouvement. Ce n'est pas Aristide qui reniera son fils spirituel. « Mes relations sont les mêmes avec le président Aristide. Je lui rends visite ou l'appelle au téléphone à chaque fois que le besoin se fait sentir », confie Desras.

La bataille politique, enchaîne-t-il, ne se mène pas en dehors du pouvoir. « Certains me considéraient comme un traître pour avoir participé aux législatives alors que Fanmi Lavalas était exclu du processus. Moi seul sais comment je défends la cause lavalassienne à travers ma fonction de sénateur. Ils peuvent me remercier aujourd'hui », lance le président du Grand Corps. Simon Dieuseul Desras est loin de regretter son soutien considérable à la campagne de Martelly, en dépit de ses récentes critiques pour le moins acerbes. « Le discours de Martelly est aujourd'hui assoupli, a-t-il jugé. Il aura mon soutien tant que les acquis démocratiques ne sont pas bafoués, les institutions respectées, et qu'il n'exerce pas d'abus de pouvoir. »

Simon Dieuseul Desras est entré dans la politique en marge de la grève sauvage de Louis-Gérald Gilles, Lans Clonès et Pierre Sonson Prince, trois jeunes médecins devenus par la suite sénateurs de la République. A la levée de la grève ouvrant la voie à une série de contestations souvent meurtrières à la faculté de Médecine et à l'Université d'État d'Haïti, les instigateurs ont été invités à rencontrer le président Aristide. « L'un des grévistes, Gérald Gilles, souhaite ma participation à la rencontre à titre de membre du secrétariat international de la Fédération nationale des étudiants haïtiens (Feneh), a expliqué Desras. A la suite de mes interventions, le président Aristide m'a proposé de briguer le poste de député de Saut-d'Eau, ma circonscription. »

Bénéficiaire d'une bourse d'études pour le Canada, le jeune Desras a refusé l'offre de l'influent chef d'Etat. « Peu après, j'ai reçu une communication venant du département du Centre pour participer aux sénatoriales qui allaient être organisées », poursuit-il. Une communication spirituelle arrive aussi, a ajouté Desras dans un langage pour le moins ésotérique. Qu'allais-je dire à Aristide à qui j'ai refusé une première proposition, s'interroge-t-il ? Aristide a testé le terrain miné du Plateau central avant d'endosser, aux sénatoriales de 2000, la candidature d'un jeune qui n'a aucune expérience politique.

Renonçant à la bourse d'études, Simon Dieuseul Desras s'est lancé dans la course. L'emblématique Serge Gilles, en face, se battait pour obtenir l'un des sièges vacants. Tous les regards des socialistes de l'Europe étaient fixés sur le département, se souvient le poulain de Fanmi Lavalas. Simon Dieuseul Desras a été élu deuxième sénateur du Centre à l'issu d'un scrutin controversé. Une étiquette de « sénateurs contestés » a été accolée aux noms de divers élus. Début d'une crise dans le pays. « Moi et six autres élus de Fanmi Lavalas avons démissionné, un an après, pour faciliter le dénouement de la crise », se souvient-t-il aujourd'hui encore. Non pas sans regret. Malheureusement pour le clan Lavalas, l'option zéro a été prônée par l'opposition et la communauté internationale sous l'influence d'Orlando Marvil. « Ce qui était fatal pour le pays », analyse le sénateur Desras.

Engagé comme consultant au cabinet particulier du président Aristide, Simon Dieuseul Desras s'occupait des collectivités territoriales. L'étau se resserrait autour du pouvoir jusqu'au deuxième exil forcé, en février 2004, de l'ex-apôtre des bidonvilles. « Par rapport à mes engagements au côté d'Aristide, j'ai choisi moi aussi le chemin de l'exil », a fait savoir Desras.

Il échappe à trois tentatives d'assassinat

Cet exil serait motivé par les multiples tentatives d'assassinat menées contre lui. « 14 mars 2003 est la pire journée que j'ai connue. J'ai résisté pendant près de 45 minutes à des tirs nourris lancés par des assaillants qui avaient monté une embuscade près du cimetière de Pernales. Heureusement, j'étais accompagné d'hommes armés, dont cinq policiers qui ont été grièvement blessés. Le véhicule a été sérieusement endommagé. J'ai vu les projectiles arrivés comme des pluies d'étoiles », a raconté Desras, non pas sans émotion. Il en est sorti sain et sauf. Une semaine après, il se trouvait au mauvais moment, au mauvais endroit. A l'entrée de Saut-d'Eau, sa ville natale, il a été pris pour cible par un groupe mêlé dans un conflit terrien. La même année, se souvient-il encore, les hommes de Ravix Remissainthe allait prendre d'assaut une maison où je me retirais à trois heures du matin à Lascahobas.  Le département du Centre est réputé pour ses violences électorales répétées. Si Simon Dieuseul Desras ignore son implication directe dans ces violences, il tente d'énumérer les principales causes de ce terrain miné. « La mosaïque que constitue le Plateau central, connecté avec les départements de l'Ouest, du Nord et de l'Artibonite, est l'une des principales causes de ces violences », a estimé le parlementaire, deux fois élus. « La frontière avec la République dominicaine voisine, a-t-il ajouté, est poreuse. Elle facilite le trafic d'armes dans la région en période électorale. Pire encore, les hommes de la région cultivent un amour particulier pour les armes, selon des statistiques du diplômé en topographie. « 75% des agents engagés dans les compagnies de sécurité à Port-au-Prince sont du département du Centre », a avancé le parlementaire.

Quand on l'interroge sur son éventuelle participation aux violences électorales, Simon Dieuseul Desras est évasif. « Je ne peux dire ni oui ni non. Je ne connais pas les degrés de participation de mes supporteurs et sympathisants dans ces violences », s'est-il contenté de répondre. Le parlementaire a toutefois concédé des erreurs commises dans le passé. « J'ai eu dans le temps une fougue de militant extrémiste. Aujourd'hui, je me suis assagi », a lancé, dans un large sourire, le président du Sénat.

Mystique ?

« Dieu créa chaque chose avec son contraire », a répondu, philosophe, l'enfant de Saut-d'Eau, haut lieu de pèlerinage vodou et catholique du département du Centre. « Je crois, dit-il, à toutes les forces naturelles. L'indépendance nationale n'aurait pas été obtenue sans les forces spirituelles », croit dure comme fer celui qui s'est présenté comme un vaudouisant aux funérailles de Léonor Fortuné, dit Azor.

Élevé selon les principes du catholicisme, il a voulu être prêtre. « Une vocation ratée », s'est-il résigné. En guise de consolation, il a vu son frère Raphaël Bernardin Desras ordonné prêtre et devenir curé de Lascahobas. Vindicatif comme le prélat qui a passé un savon au chef de l'État lors de la récente fête patronale de sa paroisse, l'oncle des frères Desras est aussi sacristain à l'église de Saut-d'Eau.

Simon Dieuseul Desras n'a pas seulement raté sa vocation de prêtre. Il a voulu être aussi médecin. Après avoir obtenu la deuxième partie du Baccalaureat, il a raté d'un cheveu le concours d'admission à la faculté de médecine et de pharmacie de l'Université d'État d'Haïti. « J'ai été 101e, alors que les 100 premiers ont été retenus par le décanat », a encore regretté l'enfant au double prénom. Sa place était plutôt à la faculté des sciences de la même Université d'État, où il a étudié la topographie. Nous sommes à l'époque du coup d'État sanglant de 1991. « La Feneh, dont je faisais partie aux côtés de Mathias Pierre, Beaugé Moncoeur et Michael Delenchy, s'opposait farouchement au putsch. En raison des turbulences sociopolitiques, j'ai passé trois ans d'études au lieu des deux années obligatoires », a expliqué Desras.

D'une faculté d'État à une autre, l'ancien élève du lycée Jean-Jacques Dessalines a été admis à l'Institut national d'administration, de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI). Motivé par « Le droit de tuer », un film de Samuel Jackson, il a entamé, en 1995, des études juridiques à la faculté de droit et des sciences économiques de l'UEH. « Denis Régis a été mon patron de mémoire, tient à souligner, l'air reconnaissant, celui qui deviendra 17 ans plus tard président du Sénat. La coopération internationale en matière des droits humains en Haïti a été le thème de mon mémoire pour lequel j'ai eu la moyenne de 85 sur 100. »

Baptisé de père inconnu

Baptisé de père inconnu, Simon Dieuseul porte le nom de sa mère. Son père était injoignable pour endosser l'acte de naissance. Ayant grandi dans une famille monoparentale, il n'a vu Guito Saint-Eloi, son père, qu'une fois. « C'était la veille de son décès », a précisé le fils d'Yvonne Benicia Desras.

Né à Saut-d'Eau le 18 décembre 1967, Simon Dieuseul Desras a fait ses études primaires à l'école Simone Ovide Duvalier, la première dame du temps de la dictature de "Papa Doc". Par le biais de sa marraine, il a été conduit à Port-au-Prince pour boucler ses études primaires au centre d'études Amiral Killick. Brillant, il a réussi les examens du certificat d'études primaires (CEP), alors qu'il était au cours moyen I. Du succès pour celui qui a la nostalgie de la vie à la campagne, de ses baignades dans l'Artibonite. Au collège Lamatinière et au lycée Jean-Jacques Dessalines, le jeune Desras ne cessa d'étonner son entourage. Sa plus grande satisfaction a été à l'INAGHEI. « Déjà en 1995, j'ai été engagé comme assistant professeur de statistiques et de mathématiques financières, a-t-il souligné. A partir de 2000, j'ai été nommé titulaire des cours. » Du temps de son exil, il a étudié pendant deux ans, à Norwalk Community College Connecticut (États-Unis).

Entre sa vie politique très dense et ses études assidues, Simon Dieuseul Desras a eu le temps de se marier avec Bianca Emmanuela Shinn, une américaine d'origine haïtienne. Il a rencontré sa dulcinée en Belgique alors qu'il était en mission en Europe. « Nous nous sommes mariés le 6 juillet 2000 », se souvient-il. Dégoutée par les violences politiques de l'année 2004, elle retourna aux États-Unis. « Toute ma vie est faite de souffrance », a lâché le politicien, fatigué de vivre loin de son épouse. Choisir entre l'amour et la politique? Simon Dieuseul Desras veut avoir les deux.

Desras en cinq dates

. 18 décembre 1967, naissance à Saut- d'Eau
. 6 juillet 2010, marié avec Bianca Emmanuela Shinn
. 21 mai 2000, élu sénateur de la République sous la bannière de Fanmi Lavalas
. 5 avril 2010, réélu sénateur de la République sous la bannière de LAVNI
. 9 janvier 2012, élu président du Sénat

Claude Gilles
gonaibo73@yahoo.fr