Hissé à la
deuxième marche de la hiérarchie des autorités, Simon Dieuseul Desras,
président de l'Assemblée nationale, a un parcours atypique que seuls les
anciens de la Fédération nationale des étudiants haïtiens (Feneh) savent encore
générer. Portrait d'un militant lavalas, supporteur de Martelly.
Haïti: Assuré de
son élection au second tour des sénatoriales de 2011, Simon Dieuseul Desras a
arpenté les vallées et les montagnes du Plateau central pour aider Michel
Martelly, un néophyte qualifié de « néoduvalieriste », à accéder à la
magistrature suprême. Son nom pourtant est loin d'être rayé du registre de
Fanmi Lavalas, le parti de Jean-Bertrand Aristide, symbolisant une certaine
gauche. Certains éléments de l'aile dure de Lavalas défilent, au contraire, à
son bureau précédemment occupé par Jean Rodolphe Joazile, un autre adepte du
mouvement. Ce n'est pas Aristide qui reniera son fils spirituel. « Mes
relations sont les mêmes avec le président Aristide. Je lui rends visite ou
l'appelle au téléphone à chaque fois que le besoin se fait sentir », confie
Desras.
La bataille
politique, enchaîne-t-il, ne se mène pas en dehors du pouvoir. « Certains me
considéraient comme un traître pour avoir participé aux législatives alors que
Fanmi Lavalas était exclu du processus. Moi seul sais comment je défends la
cause lavalassienne à travers ma fonction de sénateur. Ils peuvent me remercier
aujourd'hui », lance le président du Grand Corps. Simon Dieuseul Desras est
loin de regretter son soutien considérable à la campagne de Martelly, en dépit
de ses récentes critiques pour le moins acerbes. « Le discours de Martelly est
aujourd'hui assoupli, a-t-il jugé. Il aura mon soutien tant que les acquis
démocratiques ne sont pas bafoués, les institutions respectées, et qu'il n'exerce
pas d'abus de pouvoir. »
Simon Dieuseul
Desras est entré dans la politique en marge de la grève sauvage de Louis-Gérald
Gilles, Lans Clonès et Pierre Sonson Prince, trois jeunes médecins devenus par
la suite sénateurs de la République. A la levée de la grève ouvrant la voie à
une série de contestations souvent meurtrières à la faculté de Médecine et à
l'Université d'État d'Haïti, les instigateurs ont été invités à rencontrer le
président Aristide. « L'un des grévistes, Gérald Gilles, souhaite ma participation
à la rencontre à titre de membre du secrétariat international de la Fédération
nationale des étudiants haïtiens (Feneh), a expliqué Desras. A la suite de mes
interventions, le président Aristide m'a proposé de briguer le poste de député
de Saut-d'Eau, ma circonscription. »
Bénéficiaire
d'une bourse d'études pour le Canada, le jeune Desras a refusé l'offre de
l'influent chef d'Etat. « Peu après, j'ai reçu une communication venant du
département du Centre pour participer aux sénatoriales qui allaient être
organisées », poursuit-il. Une communication spirituelle arrive aussi, a ajouté
Desras dans un langage pour le moins ésotérique. Qu'allais-je dire à Aristide à
qui j'ai refusé une première proposition, s'interroge-t-il ? Aristide a testé
le terrain miné du Plateau central avant d'endosser, aux sénatoriales de 2000,
la candidature d'un jeune qui n'a aucune expérience politique.
Renonçant à la
bourse d'études, Simon Dieuseul Desras s'est lancé dans la course.
L'emblématique Serge Gilles, en face, se battait pour obtenir l'un des sièges
vacants. Tous les regards des socialistes de l'Europe étaient fixés sur le
département, se souvient le poulain de Fanmi Lavalas. Simon Dieuseul Desras a
été élu deuxième sénateur du Centre à l'issu d'un scrutin controversé. Une
étiquette de « sénateurs contestés » a été accolée aux noms de divers élus.
Début d'une crise dans le pays. « Moi et six autres élus de Fanmi Lavalas avons
démissionné, un an après, pour faciliter le dénouement de la crise », se
souvient-t-il aujourd'hui encore. Non pas sans regret. Malheureusement pour le
clan Lavalas, l'option zéro a été prônée par l'opposition et la communauté
internationale sous l'influence d'Orlando Marvil. « Ce qui était fatal pour le
pays », analyse le sénateur Desras.
Engagé comme
consultant au cabinet particulier du président Aristide, Simon Dieuseul Desras
s'occupait des collectivités territoriales. L'étau se resserrait autour du
pouvoir jusqu'au deuxième exil forcé, en février 2004, de l'ex-apôtre des
bidonvilles. « Par rapport à mes engagements au côté d'Aristide, j'ai choisi
moi aussi le chemin de l'exil », a fait savoir Desras.
Il échappe à
trois tentatives d'assassinat
Cet exil serait
motivé par les multiples tentatives d'assassinat menées contre lui. « 14 mars
2003 est la pire journée que j'ai connue. J'ai résisté pendant près de 45
minutes à des tirs nourris lancés par des assaillants qui avaient monté une
embuscade près du cimetière de Pernales. Heureusement, j'étais accompagné
d'hommes armés, dont cinq policiers qui ont été grièvement blessés. Le véhicule
a été sérieusement endommagé. J'ai vu les projectiles arrivés comme des pluies
d'étoiles », a raconté Desras, non pas sans émotion. Il en est sorti sain et
sauf. Une semaine après, il se trouvait au mauvais moment, au mauvais endroit.
A l'entrée de Saut-d'Eau, sa ville natale, il a été pris pour cible par un
groupe mêlé dans un conflit terrien. La même année, se souvient-il encore, les
hommes de Ravix Remissainthe allait prendre d'assaut une maison où je me retirais
à trois heures du matin à Lascahobas. Le
département du Centre est réputé pour ses violences électorales répétées. Si
Simon Dieuseul Desras ignore son implication directe dans ces violences, il
tente d'énumérer les principales causes de ce terrain miné. « La mosaïque que
constitue le Plateau central, connecté avec les départements de l'Ouest, du
Nord et de l'Artibonite, est l'une des principales causes de ces violences », a
estimé le parlementaire, deux fois élus. « La frontière avec la République dominicaine
voisine, a-t-il ajouté, est poreuse. Elle facilite le trafic d'armes dans la
région en période électorale. Pire encore, les hommes de la région cultivent un
amour particulier pour les armes, selon des statistiques du diplômé en
topographie. « 75% des agents engagés dans les compagnies de sécurité à
Port-au-Prince sont du département du Centre », a avancé le parlementaire.
Quand on
l'interroge sur son éventuelle participation aux violences électorales, Simon
Dieuseul Desras est évasif. « Je ne peux dire ni oui ni non. Je ne connais pas
les degrés de participation de mes supporteurs et sympathisants dans ces
violences », s'est-il contenté de répondre. Le parlementaire a toutefois
concédé des erreurs commises dans le passé. « J'ai eu dans le temps une fougue
de militant extrémiste. Aujourd'hui, je me suis assagi », a lancé, dans un
large sourire, le président du Sénat.
Mystique ?
« Dieu créa
chaque chose avec son contraire », a répondu, philosophe, l'enfant de
Saut-d'Eau, haut lieu de pèlerinage vodou et catholique du département du
Centre. « Je crois, dit-il, à toutes les forces naturelles. L'indépendance
nationale n'aurait pas été obtenue sans les forces spirituelles », croit dure
comme fer celui qui s'est présenté comme un vaudouisant aux funérailles de
Léonor Fortuné, dit Azor.
Élevé selon les
principes du catholicisme, il a voulu être prêtre. « Une vocation ratée », s'est-il
résigné. En guise de consolation, il a vu son frère Raphaël Bernardin Desras
ordonné prêtre et devenir curé de Lascahobas. Vindicatif comme le prélat qui a
passé un savon au chef de l'État lors de la récente fête patronale de sa
paroisse, l'oncle des frères Desras est aussi sacristain à l'église de
Saut-d'Eau.
Simon Dieuseul
Desras n'a pas seulement raté sa vocation de prêtre. Il a voulu être aussi
médecin. Après avoir obtenu la deuxième partie du Baccalaureat, il a raté d'un
cheveu le concours d'admission à la faculté de médecine et de pharmacie de
l'Université d'État d'Haïti. « J'ai été 101e, alors que les 100 premiers ont
été retenus par le décanat », a encore regretté l'enfant au double prénom. Sa
place était plutôt à la faculté des sciences de la même Université d'État, où
il a étudié la topographie. Nous sommes à l'époque du coup d'État sanglant de
1991. « La Feneh, dont je faisais partie aux côtés de Mathias Pierre, Beaugé
Moncoeur et Michael Delenchy, s'opposait farouchement au putsch. En raison des
turbulences sociopolitiques, j'ai passé trois ans d'études au lieu des deux
années obligatoires », a expliqué Desras.
D'une faculté
d'État à une autre, l'ancien élève du lycée Jean-Jacques Dessalines a été admis
à l'Institut national d'administration, de gestion et des hautes études
internationales (INAGHEI). Motivé par « Le droit de tuer », un film de Samuel
Jackson, il a entamé, en 1995, des études juridiques à la faculté de droit et
des sciences économiques de l'UEH. « Denis Régis a été mon patron de mémoire,
tient à souligner, l'air reconnaissant, celui qui deviendra 17 ans plus tard
président du Sénat. La coopération internationale en matière des droits humains
en Haïti a été le thème de mon mémoire pour lequel j'ai eu la moyenne de 85 sur
100. »
Baptisé de père
inconnu
Baptisé de père
inconnu, Simon Dieuseul porte le nom de sa mère. Son père était injoignable
pour endosser l'acte de naissance. Ayant grandi dans une famille monoparentale,
il n'a vu Guito Saint-Eloi, son père, qu'une fois. « C'était la veille de son
décès », a précisé le fils d'Yvonne Benicia Desras.
Né à Saut-d'Eau
le 18 décembre 1967, Simon Dieuseul Desras a fait ses études primaires à
l'école Simone Ovide Duvalier, la première dame du temps de la dictature de
"Papa Doc". Par le biais de sa marraine, il a été conduit à
Port-au-Prince pour boucler ses études primaires au centre d'études Amiral
Killick. Brillant, il a réussi les examens du certificat d'études primaires
(CEP), alors qu'il était au cours moyen I. Du succès pour celui qui a la
nostalgie de la vie à la campagne, de ses baignades dans l'Artibonite. Au
collège Lamatinière et au lycée Jean-Jacques Dessalines, le jeune Desras ne
cessa d'étonner son entourage. Sa plus grande satisfaction a été à l'INAGHEI. «
Déjà en 1995, j'ai été engagé comme assistant professeur de statistiques et de
mathématiques financières, a-t-il souligné. A partir de 2000, j'ai été nommé
titulaire des cours. » Du temps de son exil, il a étudié pendant deux ans, à
Norwalk Community College Connecticut (États-Unis).
Entre sa vie
politique très dense et ses études assidues, Simon Dieuseul Desras a eu le
temps de se marier avec Bianca Emmanuela Shinn, une américaine d'origine
haïtienne. Il a rencontré sa dulcinée en Belgique alors qu'il était en mission
en Europe. « Nous nous sommes mariés le 6 juillet 2000 », se souvient-il.
Dégoutée par les violences politiques de l'année 2004, elle retourna aux
États-Unis. « Toute ma vie est faite de souffrance », a lâché le politicien,
fatigué de vivre loin de son épouse. Choisir entre l'amour et la politique?
Simon Dieuseul Desras veut avoir les deux.
Desras en cinq
dates
. 18 décembre
1967, naissance à Saut- d'Eau
. 6 juillet 2010,
marié avec Bianca Emmanuela Shinn
. 21 mai 2000,
élu sénateur de la République sous la bannière de Fanmi Lavalas
. 5 avril 2010,
réélu sénateur de la République sous la bannière de LAVNI
. 9 janvier 2012,
élu président du Sénat
Claude Gilles
gonaibo73@yahoo.fr